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Sessions thématiques (STAIMS) > STAIMS 10 : La transformation du droit au prisme du management stratégiqueLa transformation du droit au prisme du management stratégique Responsables :
Mots-clés : Design Juridique (Legal Design) – Fiction de Conception (Design Fiction) – Management Stratégique – Innovations – Droit – Mutation – Organisation Dans un contexte de mutation à la fois économique, technologique et sociétale, la transformation du droit s’accélère sous l’effet de dynamiques multiples : digitalisation, essor des legaltechs, évolutions réglementaires, internationalisation, hybridation des compétences, pression concurrentielle accrue et attentes renouvelées des clients. Ces dynamiques redéfinissent les contours de la pratique du droit. Elles génèrent une hybridation croissante entre logiques juridiques, managériales et technologiques (Laufer & Muller-Lagarde, 2017 ; Masson & Bouthinon-Dumas, 2011). Dans ce cadre, l’approche Law & Management offre des grilles d’analyse riches et fécondes à l’intégration du droit dans le management stratégique. Cette approche met en évidence la complémentarité de la logique juridique et managériale dans l’élaboration de l’action stratégique et la création de l’avantage compétitif (Bagley, 2008 ; Bird, 2008 et 2021 ; Roquilly, 2009 ; Masson, Shariff, 2010 ; Masson, Bouthinon-Dumas, 2011 ; Bird, Orozco, 2014). En effet, cette approche ne cesse de se renouveler afin d’appréhender les mutations à l’œuvre au sein de l’écosystème juridique comme en témoignent des ouvrages et des numéros spéciaux récents (Masson et al., 2026; Messeghem et Rhattat, 2025 ; Kherrazi et al., 2025 ; Rhattat et Quiquerez, 2025 ; Masson et Robinson, 2021). Ainsi, le management stratégique offre un prisme particulièrement fécond pour analyser et comprendre les mutations à l’œuvre au sein de l’écosystème juridique (Kherrazi et Roquilly, 2026). Dans le prolongement de ces travaux, cette ST-AIMS vise à rassembler des contributions qui examinent la transformation du droit sous le prisme du management stratégique. La transformation du droit englobe ainsi toutes les mutations portant sur les acteurs, les écosystèmes, les métiers, les pratiques et les processus juridiques en vue de créer de la valeur et d’améliorer la performance. Dans cette perspective, les outils conceptuels, méthodologiques et empiriques du management stratégique, traditionnellement mobilisés pour analyser les stratégies concurrentielles, les dynamiques d’innovation, les réseaux d’acteurs, les capacités d’anticipation et d’adaptation, la conduite du changement, etc., sont aujourd’hui convoqués pour éclairer la transformation du secteur du droit (Kherrazi et Roquilly, 2026). Ce renouvellement du regard contribue à faire émerger de nouveaux objets de recherche : stratégies des legaltechs, structuration de nouveaux marchés et écosystèmes juridiques, innovation de business models, management des paradoxes, évolution des capacités juridiques, etc. Plusieurs thématiques émergentes et transversales à l’interface du management stratégique et du droit peuvent être abordées dans cette ST-AIMS, portant sur les acteurs, les écosystèmes, les métiers, les pratiques et les processus. Dans ce qui suit, nous proposons quelques axes prioritaires à explorer lors de cette ST (sans être exhaustif) : 1. Design juridique et innovation centrée utilisateur Le design juridique (legal design) est un champ émergent à l’intersection du droit, du design thinking et de l’innovation organisationnelle. Il vise à rendre le droit plus lisible, accessible et compréhensible, en mobilisant les principes du design (visualisation, prototypage, centration utilisateur, schémas, outils informatiques, etc.) (Haapio et al., 2021). Cette approche produit une nouvelle culture juridique axée sur l’agilité et l’expérience utilisateur. Elle favorise la co-construction entre juristes, designers, ingénieurs et usagers pour concevoir des documents, plateformes ou services plus intuitifs (Cohen, 2018). En cela, le legal design rejoint les logiques d’innovation ouverte et organisationnelle (Collard & Raison, 2021) et s’impose progressivement comme une source de création de valeur, tant dans les entreprises que dans les cabinets. Ainsi, il serait pertinent d’examiner les processus de ces innovations et la façon dont elles améliorent les outils et les modes d’interactions entre juristes et clients internes (équipes internes de R&D, communication, marketing, etc.) et/ou externes.
2. Design fiction comme levier d’imagination pour l’innovation juridique Le design fiction (« fiction de conception ») consiste à recourir à des récits et à des univers imaginaires pour concevoir, de manière collaborative, des prototypes précoces de produits, de services ou même de modèles organisationnels, avant leur mise en œuvre technique (Michaud et Appio, 2022). Cette démarche considère l’imagination comme un ingrédient indispensable à la compréhension du monde et au renouvellement des façons d’agir. Elle constitue ainsi un outil précieux pour les prospectivistes, qui cherchent à explorer les futurs possibles et à questionner le présent (Michaud, 2024). En mobilisant un registre spéculatif, le design fiction permet d’anticiper des transformations radicales en ouvrant des perspectives inédites, souvent inaccessibles aux méthodes traditionnelles de l’innovation (Michaud et Ladetto, 2025). Dans le domaine du droit et de l’innovation juridique, cette approche peut prendre une résonance particulière. En effet, l’innovation juridique demeure généralement conservatrice, limitée par les cadres normatifs et institutionnels en place. Or, le design fiction pourrait contribuer à élargir le champ de réflexion en permettant d’explorer, à travers des scénarios fictifs, les conséquences de transformations réglementaires, l’émergence de nouveaux droits ou encore l’adaptation des institutions face à des technologies disruptives comme l’intelligence artificielle (IA).
3. Stratégies et business models des nouveaux entrants La digitalisation et la diffusion de l’IA ont accéléré la transformation du droit au cours de la dernière décennie, redéfinissant ses pratiques et ses modèles économiques. Ainsi, le marché du droit connaît l’arrivée de nouveaux acteurs autour du legal delivery (Cohen, 2018) afin d’améliorer la prestation des services juridiques. Dans ce cadre, les Legaltechs apparaissent comme des start-up juridiques proposant via des plateformes numériques des services innovants, centrés sur la personnalisation, l’automatisation, l’accessibilité et l'efficacité. Ces acteurs s’appuient sur l’IA et des algorithmes d’analyse prédictive avancés afin d’offrir des services juridiques de type : rédaction automatisée de documents juridiques, médiation et règlement en ligne, mise en relation avec des avocats ou juristes, prédiction (legal analytics), gestion contractuel (contract management), design juridique (legal design), etc., (Cassar, 2021 ; Cohen, 2018 ; Rhattat & Quiquerez, 2021). Ils bousculent les pratiques traditionnelles, en introduisant des stratégies et modèles économiques nouveaux ou hybrides. Dans cette optique, peu de travaux examinent les stratégies concurrentielles des Legaltechs et leurs stratégies de légitimation face à des cabinets établis et dans un secteur historiquement fortement régulé. Les questions aussi de l’innovation de business models et ses logiques de création et de monétisation de la valeur en encore celles de « l’uberisation » des services juridiques (Daidj, 2021) mériteraient d’être explorées.
4. Ecosystème entrepreneurial du droit (augmenté) Si le monde du droit a longtemps été perçu comme rigide et conservateur et peu propice à l’innovation, il n’échappe pas à l’impact profond de la transformation digitale qui touche aujourd’hui l’ensemble des secteurs d’activité (Susskind, 2017 ; Deffains, 2019). En effet, associé à la profusion des données numériques, le développement des technologies innovantes a un effet puissant sur les pratiques et les modes d’exercices des acteurs traditionnels et ont favorisé l’arrivée de nouveaux acteurs (Legaltech). Ces transformations font ainsi émerger de nouvelles opportunités entrepreneuriales, saisies aussi bien par de nouveaux entrepreneurs que par des acteurs existants, dans une logique intrapreneuriale. Dans ce contexte de plus en plus concurrentiel, l’innovation est devenue un impératif stratégique pour les professionnels du droit afin de demeurer compétitifs (Bouthinon-Dumas et Masson, 2018). Au-delà de l’appropriation des outils technologiques, les entrepreneurs du droit innovants sont amenés à acquérir et développer de nouvelles compétences. Le « juriste augmenté » (Roquilly et Frizzera-Mogli, 2020) se doit ainsi de maîtriser tant les compétences de l’entrepreneur (Loué et al, 2015) que les soft skills et les compétences digitales. « L’évolution entrepreneuriale de la profession juridique » (Rey-Martin et Bornard, 2014) pose la question de la sensibilisation et de l’accompagnement à l’esprit d’entreprendre et à la créativité juridique. Plus largement, la question qui se pose est celle de savoir comment l’écosystème entrepreneurial du droit (Rhattat et al, 2025) peut-il être un terrain propice au développement de l’innovation juridique ? Les propositions peuvent appréhender les défis et les opportunités et de la transformation digitale sur le marché du droit en termes d’innovation juridique.
5. Pilotage de la performance juridique Le pilotage de la performance juridique connaît aujourd’hui une transformation profonde, portée par l’adoption croissante des technologies numériques et l’évolution des attentes stratégiques des entreprises (Collard et Roquilly, 2010). Alors que la fonction juridique était traditionnellement évaluée à travers des indicateurs d’activité (volume de contrats, nombre de litiges, délais de traitement), de nouveaux outils permettent désormais de mesurer sa contribution à la création de valeur, à la maîtrise des risques et à l’alignement stratégique avec les objectifs de l’organisation (Rhattat et al., 2025 ; Kherrazi et Roquilly, 2023). Cette évolution s’accompagne d’une utilisation accrue de solutions d’automatisation, de plateformes de contract management, d’outils analytiques, et d’approches data-driven pour objectiver la performance juridique. Elle redéfinit ainsi les pratiques de reporting, de gouvernance et de collaboration entre juristes et autres fonctions, et contribue à repositionner la fonction juridique comme un centre de création de valeur et non plus un simple centre de coûts (Cohen, 2018). Dans ce contexte, le management stratégique peut inspirer le pilotage de la performance juridique à travers une approche par les parties prenantes (Kherrazi et Roquilly, 2026), par les risques juridiques (Collard et Roquilly, 2013), ou à travers les modèles issus du Balanced Scorecard (Kaplan and Norton, 1992) centrés sur l’équilibre entre performance financière, processus internes, apprentissage organisationnel et satisfaction des parties prenantes. Toutefois, un travail reste à faire pour mieux comprendre comment les organisations juridiques construisent des indicateurs pertinents qui intègrent des dimensions stratégiques, les gouvernent, et les utilisent comme outils de légitimation et de valorisation en interne et/ou en externe. 6. Paradoxes, capacités et improvisation en management juridique Dans un environnement juridique en mutation rapide, la capacité des organisations juridiques à articuler rigueur normative et flexibilité devient un levier stratégique central. Cette articulation engendre des tensions et des pressions paradoxales entre conformité et innovation (anticonformisme), sécurité et agilité, et interroge les modes de management des paradoxes et les dynamiques managériales ou organisationnelles qui en découlent. À cet égard, le Jazz considéré comme métaphore de l’organisation du XXIe siècle (Lewin, 1998) peut servir de base pour examiner l’articulation de paradoxes peu ou prou similaires (structure et liberté, autonomie et interdépendance, improvisation et ordre). La métaphore du Jazz éclaire ainsi les capacités d’improvisation, ou des capacités similaires, que doivent développer les organisations juridiques afin d’innover, d’anticiper, d’absorber et/ou de transformer les incertitudes, tout en surmontant les paradoxes que ces capacités engendrent sur le plan individuel, organisationnel et managérial (Kherrazi et Roquilly, 2026). Ainsi, il est besoin d’explorer le rôle des capacités dynamiques et leur processus d’émergence dans les organisations juridiques innovantes (Legaltechs, direction juridique innovante, etc.). D’autres questions peuvent examiner le rôle de la culture juridique, des compétences transversales, de l’apprentissage et du leadership dans le développement d’un management juridique innovant. Par ailleurs, la ST reste ouverte à d’autres contributions conceptuelles et/ou empiriques, en dehors des axes susmentionnés, qui mobilisent les outils du management stratégique pour appréhender les transformations à l’œuvre dans l’écosystème juridique.
Références BAGLEY, C.E. (2008), Winning Legally: the Value of Legal Astuteness, Academy of Management Review, 33(2), 378. BIRD, R. C. (2021), Legally astute managers as a source of value in organizations, Business Horizons, https://doi.org/10.1016/j.bushor.2021.11.002. KHERRAZI, S., ROQUILLY, C. (2023), Le SI dans la fonction juridique : exploration des pratiques d’alignement stratégique, Systèmes d’Information & Management, 28(4), 43-70. KHERRAZI, S., ROQUILLY, C. (2026), Toward a strategic management perspective of legal management, in Masson, A., Bouthinon-Dumas, H., Do Carmo Silva, J. M., Voss, W. G.(eds), The Oxford Handbook of Law and Management, Oxford, Oxford University Press (Forthcoming). KHERRAZI, S., ROQUILLY, C., G. VOSS, K. SAID. (2025). "L’innovation juridique à la croisée du droit et de l’innovation : réflexions sur un champ émergent", Innovations, (à paraître). Masson, A., Bouthinon-Dumas, H., Do Carmo Silva, J. M., Voss, W. G. (2026). The Oxford Handbook of Law and Management, Oxford, Oxford University Press (Forthcoming). MASSON, A., ROBINSON, G. (2021), Mapping Legal Innovation: Trends and Perspectives, Cham, Switzerland, Springer. MESSEGHEM, K. ET RHATTAT, R. (2025). Oser entreprendre dans le droit à l’ère de la transformation digitale. Entreprendre & Innover, 64(1), 5-10. https://doi.org/10.3917/entin.064.0005. MICHAUD, T., & APPIO, F. P. (2022). Envisioning innovation opportunities through science fiction. Journal of Product Innovation Management, 39(2), 121-131. MICHAUD, T., & LADETTO, Q. (2025). Science-fiction et management de l’innovation. Marché et organisations, 52(1), 5-24. RHATTAT, R., MESSEGHEM, K. ET CHERBIB, J. (2025). Exploration du sous-écosystème entrepreneurial francilien du droit : voyage en terre inconnue. Entreprendre & Innover, 64(1), 11-23. https://doi.org/10.3917/entin.064.0011. ROQUILLY, C. (2009), Le cas de l’iPhone en tant qu’illustration du rôle des ressources juridiques et de la capacité juridique dans le management de l’innovation, M@n@gement, 12(2), 142-175
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