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Sessions thématiques (STAIMS) > STAIMS 3 : Care et Organisations - tensions, pratiques et perspectives

Care et Organisations - tensions, pratiques et perspectives

Responsables

  • Bruyère Christelle (Université de Saint Etienne, COACTIS) – christelle.bruyere@univ-st-etienne.fr
  • Hildwein Fabien (Université de Strasbourg, BETA) – fhildwein@unistra.fr
  • Cintas Caroline (Université de Rouen, NIMEC) – caroline.cintas@univ-rouen.fr
  • Dubruc Nadine (Mines Saint-Etienne, COACTIS) – dubruc@emse.fr

 

Mots-clés : Care organisationnel – vulnérabilité – tensions – pratiques - perspectives

Depuis les travaux fondateurs de Carol Gilligan (1982) et Joan Tronto (2009), l’éthique du care a nourri un vaste champ de recherches en philosophie, sciences politiques, sociologie et psychologie sociale, sur de nombreux objets d’études (soin des personnes âgées, soin de la maladie mentale, soins palliatifs, travail ménager et travail de ménage, pair-aidance, etc.). Elle a contribué à renouveler les approches de la vulnérabilité, de la responsabilité et de la démocratie. En France, l’école du care (Ibos et al., 2019) a ouvert des perspectives pour penser le travail invisible, l’attention aux plus vulnérables et l’articulation entre dimensions éthiques, politiques et organisationnelles du care.

En sciences de gestion, l’intérêt pour ces approches est plus récent, mais il connaît aujourd’hui un développement marqué (Arnaud-Clemens, 2023 ; Fotaki, 2023 ; Gil, 2021 ; André, 2013). Les recherches mettent en évidence que le care ne se limite pas à une relation interpersonnelle mais constitue aussi un cadre critique pour analyser les organisations et leurs dispositifs de gestion. Ce champ émergent permet d’interroger la capacité du management à reconnaître le travail invisible, à faire place aux bricolages organisationnels et à reconfigurer ses finalités au-delà de la performance économique.

Le care comme défi organisationnel

Le care, notion à la fois éthique, politique et organisationnelle, soulève une question centrale pour le management : une organisation peut-elle être « soignante » ? Certains auteurs affirment que cette perspective est illusoire (Molinier, 2022), car l’éthique du care est particulariste et contextualiste (Laugier, 2015) et résiste à toute forme de standardisation. Le travail du care repose sur des pratiques situées, des gestes discrets et des ajustements permanents qui échappent aux cadres gestionnaires classiques.

Le management, de son côté, a souvent été accusé de nuire aux pratiques professionnelles du care, en particulier dans les organisations de santé (Molinier, 2022). Les logiques gestionnaires d’efficacité, de performance et de professionnalisation entrent en tension avec les pratiques de sollicitude et d’attention aux besoins singuliers. Ces tensions demandent à être explorées car elles révèlent les limites d’un management centré sur le contrôle et les indicateurs.

Mais le care ne peut être réduit à une critique du management. Il ouvre également des perspectives constructives : penser des organisations attentives, capables de reconnaître la vulnérabilité constitutive des êtres humains et des collectifs. Dans ce sens, il contribue à renouveler la réflexion sur la finalité des organisations et sur la nature même du travail.

Le travail du care est surtout pensé comme une activité au niveau micro et inter-individuel. Que devient-il ou que peut-il devenir au niveau organisationnel ? Quelles formes concrètes revêt-il ?

 

Invisibilisation, reconnaissance et évaluation du care

Une des dimensions les plus saillantes du care est son invisibilité. Le travail du care se réalise souvent dans l’ombre, par des « petits riens » ou des bricolages qui échappent à la mesure et aux normes gestionnaires (Molinier, 2022). Cette invisibilisation est accentuée par le fait que le care est fréquemment accompli par des femmes, souvent racisées ou occupant des positions subalternes (Fotaki, 2023).

Cette invisibilité n’est pas neutre : elle a pour effet de dévaloriser le care, en le réduisant à une servitude ou à un travail naturel, au lieu de le reconnaître comme une activité complexe et essentielle. Les sciences de gestion ont ici un rôle à jouer en rendant visible ce qui ne l’est pas, en mettant en lumière la richesse de ces pratiques, et en interrogeant les dispositifs organisationnels capables de les soutenir (Mumford et al., 2022).

La reconnaissance du care suppose aussi de dépasser une logique purement comptable. Peut-on évaluer le travail du care sans le dénaturer ? Quels indicateurs respecteraient les finalités des relations humaines ? Ces questions invitent à repenser la performance organisationnelle à l’aune d’autres valeurs que celles de la rentabilité.

Dimensions politiques et démocratiques

Au-delà des relations interpersonnelles, le care revêt une dimension profondément politique. Joan Tronto (2009) a montré que les sociétés démocratiques doivent assumer collectivement les responsabilités du care. L’indifférence des privilégiés – ceux qui peuvent feindre ne pas avoir besoin de care – constitue un obstacle majeur à une société inclusive.

Dans les organisations, cette perspective invite à penser la démocratie organisationnelle : comment donner voix aux soignants comme aux soignés ? Comment éviter le paternalisme (les soignants décident à la place des soignés) ou le parochialisme (limiter les soins à certaines catégories de personnes) (White & Tronto, 2004) ? Est-il possible de penser des organisations alternatives du care ? Si oui, quelles formes prendraient-elles ? Sur quels cadres de pensée peut-on s’appuyer pour les concevoir ?

Ces enjeux rejoignent des débats actuels sur l’inclusion, la reconnaissance et la justice organisationnelle.

Le care permet également de critiquer les modèles néolibéraux dominants, centrés sur l’individu rationnel et autonome. Il propose une autre ontologie : celle des êtres relationnels, interdépendants et vulnérables (Tronto, 2009 ; Ibos et al., 2019). En ce sens, il constitue une alternative politique et organisationnelle, susceptible de nourrir des formes innovantes d’organisations du travail, dans le secteur de la santé mais aussi dans l’éducation, l’économie sociale et solidaire, ou encore les entreprises engagées (Bruyère, 2022).

Défis méthodologiques

Étudier le care en sciences de gestion pose des défis méthodologiques spécifiques. Comment saisir l’invisible et le discret ? Comment rendre compte des bricolages et des ajustements contextuels sans les réduire à des normes ? Les approches qualitatives, ethnographiques, ou encore les analyses multimodales des discours et des pratiques apparaissent particulièrement adaptées (Arnaud-Clemens, 2023).

Par ailleurs, une réflexion épistémologique est nécessaire : peut-on faire de l’éthique du care un véritable concept en sciences de gestion (Fotaki, 2023) ? Faut-il accepter son caractère mouvant et contextuel, au risque d’en limiter la généralisation ? Ces questions appellent des contributions théoriques, méthodologiques et empiriques.

Quelles sont les méthodes pour aborder un terrain sur le care ? Les éthiques du care peuvent-elles être infusées dans nos terrains, sous forme de « prendre soin » de nos terrains ? Quelle analyse comparée est-elle possible pour croiser les cas et agréger nos résultats ? comment approcher ce phénomène sans en perdre la richesse ? Quelles méthodes propres aux sciences de gestion pouvons-nous déployer ?

Axes de recherche proposés

Ce ST-AIMS se propose de faire dialoguer les études du care et les sciences de gestion pour explorer la manière dont le care peut être pensé, vécu et institutionnalisé dans les organisations contemporaines. Les contributions attendues pourront notamment aborder :

· Les organisations comme espaces de care : formes, limites, paradoxes.

· Les dispositifs managériaux et leur capacité (ou incapacité) à intégrer l’éthique du care.

· Les bricolages, invisibilités et résistances comme modalités concrètes du care au travail.

· L’évaluation du care et ses tensions avec les normes de performance.

· Le rôle du care dans la construction d’organisations démocratiques et inclusives.

· Le care comme alternative aux paradigmes gestionnaires dominants.

· Les méthodes de recherche adaptées pour saisir l’invisible et le discret du care.

· Les terrains organisationnels du care : santé, médico-social, éducation, entreprises, tiers-lieux, associations, etc.

 

Références :

André, K. (2013), Entre insouciance et souci de l’autre. L’éthique du care dans l’enseignement en gestion, Thèse de doctorat, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

Arnaud-Clemens, S. L. (2023), L’Enquête Démocratique Caring, une approche pragmatiste pour un organizing alternatif qui prend en compte les vulnérabilités : Expériences de la phase d’émergence d’une Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale, Thèse de doctorat, Université Jean Monnet – Saint-Étienne.

Bruyère, C. (dir.) (2022), Le management bienveillant dans les établissements de santé : un levier de gestion de crise ?, ISTE.

Fotaki, M. (2023), Why Do We Desire and Fear care: Toward developing a holistic political approach, Organization Theory, 4 : 1, 1-25.

Gil, J.-P. (2021), Management innovant : les principes de l’éthique du care appliqués à la gestion d’un établissement médico-social, Thèse de doctorat, Université Paul-Valéry Montpellier 3.

Gilligan, C. (1982), In a Different Voice, Cambridge (MA) : Harvard University Press.

Ibos, C., A. Damamme, P. Molinier et P. Paperman (2019), Vers une société du care. Une politique de l’attention, Paris : Le Cavalier Bleu.

Laugier, S. (2015), Care, environnement et éthique globale, Cahiers du genre, 59 : 2, 117-139.

Molinier, P. (2022), Estimer le travail inestimable, Sociologie du travail, 64 : 1-2, 1-18.

Mumford, C., D. Holman, L. McCann, M. Nagington et L. Dunn (2022), Enacting care amid power relations: The role of ‘veiled care’ in organisational life, Organization, 29 : 4, 577-595.

Tronto, J. C. (2009), Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris : La Découverte.

White, S. et J. C. Tronto (2004), Political Practices of Care: Needs and Rights, Ratio Juris, 17 : 4, 425-453.

 

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